Interview par TAP
Jean-Pierre Sueur, sénateur et président du groupe d’amitié Tunisie-France au Sénat français, a adressé, en mai 2019, un courrier au ministère de l’Europe et des Affaires Européennes, dans lequel il a exprimé sa crainte que l’Accord de libre Echange Complet et Approfondi (ALECA), ne se fasse en défaveur de la Tunisie.
Dans cette interview accordée à l’agence TAP, le sénateur français explique cette crainte et revient sur les effets néfastes que pourrait avoir l’ALECA, sur la pérennité des secteurs de l’agriculture et de la santé, s’il venait à être adopté, sous sa forme actuelle.
A rappeler que les négociations sur l’ALECA sont actuellement, à l’arrêt pour des raisons électorales. Leurs reprise est annoncées par les négociateurs tunisiens, au cours du 1er trimestre 2020, avec les nouvelles équipes issues des élections en Tunisie et en Europe.
– Dans votre courrier, vous évoquez des impacts qui pourraient être négatifs sur les secteurs de l’agriculture et de l’alimentation, en Tunisie, en l’occurrence, sur la production céréalière et l’élevage…
Actuellement, la dépendance alimentaire de la Tunisie dépasse déjà les 55 %, et une grande partie des terres agricoles cultivables sont destinées aux marchés extérieurs. Avec l’ALECA, cette dynamique risque d’être renforcée avec la menace de réduction des productions de secteurs stratégiques, tels que les céréales et l’élevage. Pour être compétitive, l’agriculture tunisienne serait amenée à se spécialiser dans des secteurs moins essentiels. Le pays serait alors, davantage exposé aux fluctuations des prix agricoles, ce qui entrainerait une instabilité des prix des produits de première nécessité, qui serait très préjudiciable.
– Pour vous, le secteur de la santé, notamment le secteur pharmaceutique, serait lui aussi, impacté par la mise en œuvre de cet accord, ce qui pourrait même représenter une menace pour l’accès des citoyens aux soins…
Avec l’ALECA dans sa mouture actuelle, des cliniques européennes pourraient très facilement, s’installer en Tunisie.
Pour les acteurs de la société civile tunisienne que j’ai pu rencontrer, cela risquerait de se traduire par une baisse de la qualité du secteur public et un renforcement des inégalités face à l’émergence d’un secteur privé, qui serait loin d’être accessible à tous les tunisiens.
Par ailleurs, cet accord prévoit d’allonger au-delà de 20 ans, la protection des brevets sur les médicaments, ce qui reviendrait, in fine, à empêcher la commercialisation de génériques. Pourtant, les génériques produits en Tunisie qui sont accessibles à des prix raisonnables, couvrent aujourd’hui, 70 % des besoins de la population.
Freiner la production de génériques risque de se traduire par une forte augmentation des prix des médicaments et donc d’entraver l’accès à la santé pour tous.
– En matière de mobilité des personnes, ne pensez-vous que la réciprocité en termes d’attribution des visas, doit être une condition nécessaire pour que le partenariat puisse être d’égal à égal, entre la Tunisie et l’Europe dans le cadre de cet accord?
Je suis effectivement, en faveur de la réciprocité en termes d’attribution des visas, en tant que condition nécessaire de partenariat égal. L’absence de visas ou à minima de procédures simples, claires et rapides, en vue de leur obtention pour tous les citoyens, me paraissent constituer des conditions fondamentales.
– Quelles sont vos recommandations pour que cet accord soit véritablement, bénéfique pour la Tunisie?
Les acteurs la société civile tunisienne m’ont fait part de plusieurs revendications, que je partage. C’est ainsi, qu’il est pour moi indispensable que cet accord, en cours de négociation, ne remette pas en cause la souveraineté alimentaire de la Tunisie et protège les petits agriculteurs.
Je pense qu’il faut être, en outre, très vigilant quant à l’introduction de mécanismes d’arbitrage qui permet aux investisseurs européens d’attaquer l’Etat tunisien, afin d’annuler des mesures d’intérêt général alors que l’inverse serait quasiment, impossible. Cela pourrait se révéler très déséquilibré, au détriment des intérêts de la Tunisie.
Par ailleurs, la signature de l’accord imposerait l’harmonisation de l’agriculture tunisienne aux normes sanitaires et phytosanitaires européennes, alors même qu’elles ne sont pas aujourd’hui atteignables pour la majorité des producteurs tunisiens. Une période de transition serait, dans tous les cas, absolument nécessaire.
Enfin, la société civile tunisienne considère qu’un éventuel accord ne devra pas seulement être un accord commercial, mais qu’il doit constituer un véritable partenariat entre l’Europe et la Tunisie, pour que soit instaurée une solide coopération dans tous les domaines dont il traitera.
Accueil A la une Jean Pierre Sueur: La réciprocité en matière des visas est une condition nécessaire de « partenariat égal » entre la Tunisie et l’Europe
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